Si l’on en croit de nombreux témoignages, les réunions en ligne seraient plus faciles pour les personnes malentendantes, car elles impliqueraient moins de stress.
Dans un article paru sur le site web de la BBC, Gianpiero Petriglieri, maître de conférences à l’Insead (Institut européen d’administration des affaires), explique que « participer à un appel vidéo requiert plus de concentration qu’une discussion en face à face. Les échanges en vidéo nous demandent plus d’efforts pour traiter les indices non verbaux tels que les expressions du visage, les intonations de la voix ainsi que le langage corporel. Prêter attention à tout cela consomme beaucoup d’énergie ».
Mais qu’en est-il pour ceux dont l’audition n’est pas parfaite ? Un appel vidéo requiert-il plus de concentration pour eux qu’une discussion en face à face ?
Comparons les expériences entre réunion en face à face et réunion en ligne pour une personne malentendante. Que ressort-il de la comparaison sur le plan du stress et du niveau d’énergie requis ?
Pour pouvoir assister à une réunion en personne, il faut déjà s’y rendre. En tant que personne malentendante, ma première préoccupation est de me réveiller à l’heure pour y aller. Si je pars de chez moi, j’ai mon réveil à simulateur d’aube et mon mari pour m’aider à me lever à temps. Mais si je dors à l’hôtel, je ne peux que compter sur moi-même et sur mon alarme de voyage (qui se contente de vibrer pour me réveiller). La plupart du temps quand je passe la nuit à l’hôtel avant une réunion, je ne dors pas très bien. Je n’arrête pas de me réveiller pour vérifier que je n’ai pas raté l’alarme.
Pour me rendre à la réunion, il se peut aussi qu’il me faille prendre le train. Dans ce cas, le fait de devoir prêter attention aux annonces sur le quai m’angoisse. Je dois rester vigilante en permanence pour être sûre de ne pas passer à côté de quoi que ce soit.
Une fois à bord du train, je dois être bien attentive au cas où on me demanderait mon billet. Et pour ne pas manquer mon arrêt. Parfois le nom de la gare n’est visible qu’au moment où le train s’arrête. Je dois alors me dépêcher de sortir. Je reste donc assise la main sur mes bagages, un peu comme un ressort prêt à bondir à tout moment.
Si je dois prendre le bus pour une destination inconnue, c’est encore plus stressant. Il se peut qu’il n’y ait aucune indication visuelle pour m’avertir que je suis arrivée à bon port. Je suis obligée de demander au chauffeur de bien vouloir me prévenir lorsqu’il s’agit de mon arrêt. Je dois également lui expliquer que je suis sourde et que j’ai besoin qu’il me fasse signe pour savoir quand descendre. Puis, je passe le reste du trajet à avoir peur qu’il ne m’oublie complètement.
Si je dois me rendre à pied à une réunion et que je ne connais pas le chemin, je m’inquiète d’avoir à demander mon chemin à quelqu’un. Que se passera-t-il si je n’entends pas bien et que je me trompe de chemin ? Dieu merci, il y a les applications de cartographie !
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Arrivée en salle de réunion, une personne malentendante cherchera à identifier le meilleur endroit pour s’asseoir. Lorsque la lumière provient d’une rangée de fenêtres située d’un côté de la pièce, je m’assieds dos aux fenêtres. Si je devais m’asseoir face à elles, le visage des personnes assises devant les fenêtres serait alors à contre-jour. Ce qui me gênerait pour lire sur leurs lèvres.
Certaines personnes malentendantes entendent mieux d’une oreille. Elles essaieront donc de s’asseoir de manière à ce que la majorité des personnes présentes à la réunion se situent du bon côté pour elles.
Enfin, il faut également tenir compte des éventuels bruits de fond. Un ventilateur ou un système de climatisation risquent-ils de créer un bruit de fond qui sera amplifié par vos aides auditives ? Les jours de grande chaleur, nous craignons aussi qu’une personne demande à ouvrir la fenêtre. Ce qui introduirait le bruit intrusif de la circulation.
Le fait qu’il y ait des boissons pendant la réunion crée là encore des problèmes pour les personnes appareillées. Y a-t-il quelque chose de pire que le son amplifié des tasses sur les soucoupes quand vous essayez de suivre une conversation ?
Manger et boire ne font en outre pas bon ménage avec la lecture labiale ! Impossible de lire sur les lèvres de quelqu’un qui tient sa tasse devant sa bouche !
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Au début de la réunion, on reconnaît facilement les personnes malentendantes. Car elles ont l’air de suricates, constamment à l’affût du prochain son. Pour pouvoir lire sur vos lèvres, j’ai en effet besoin de bien vous voir. Je dois donc réussir à me caler sur votre visage en une ou deux secondes dès que vous commencez à parler. J’adore les réunions où les gens lèvent la main pour demander la parole. Lorsque les gens commencent à parler les uns en même temps que les autres, les personnes malentendantes ont souvent tendance à abandonner et à se mettre en retrait de la réunion. Cela peut simplement finir par faire un peu trop pour elles.
L’autre élément de stress majeur, c’est quand on est confronté à une question directe pendant une réunion. Pire encore quand la personne qui nous pose la question n’était pas en train de parler avant, car dans ce cas, nous ne regardions probablement pas dans sa direction. Une fois qu’on réalise que c’est à nous qu’elle s’est adressée, il nous faut alors tenter de comprendre ce qu’elle nous a demandé.
Outre la lecture labiale, nous nous appuyons en permanence sur les indices non verbaux comme les expressions faciales, les intonations de voix et le langage corporel.
Rien de plus simple. Il suffit de s’asseoir sur sa chaise. Aucun stress à l’horizon.
Il n’y a pas trente-six endroits où s’asseoir. Là encore, aucun stress !
Comme la pièce nous appartient, nous maîtrisons totalement les bruits de fond potentiels. Nous pouvons prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les possibles nuisances sonores. Et nous n’avons pas à nous inquiéter des éventuelles interruptions. Et encore un facteur de stress en moins !
Nous sommes seuls responsables des paramètres de notre écran. Nous avons le contrôle total de la situation. Pas de stress de ce côté-là non plus.
La plupart des logiciels de visioconférence permettent de mettre en évidence la personne qui parle. Certains agrandissent même l’image de l’orateur pour qu’il soit le seul visible. Plus besoin de jouer les suricates ! Rien ne sert de se contorsionner pour trouver qui parle. Le logiciel le fait pour nous.
Dans la plupart des réunions, l’habitude veut que les gens coupent le son de leur micro. Ainsi, si Jenny se sert une tasse de thé ou que John croque dans une pomme, les autres ne sont pas obligés de les entendre. Stress évacué !
Certains logiciels de réunions en ligne fournissent une transcription automatique des paroles. S’ils sont loin d’être parfaits, ces systèmes peuvent toutefois réduire considérablement la part de devinette relative au contenu des échanges. Ils vous permettent en outre de voir votre nom apparaître et donc de savoir quand on vous pose une question.
Le tchat en ligne est également un excellent outil pour clarifier un mot ou une phrase sans avoir à interrompre l’orateur.
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D’après Liz Fosslien et Mollie West Duffy, les gens trouvent les visioconférences épuisantes, car « … elles obligent à [se] concentrer plus intensément sur les conversations afin d’absorber les informations ».
Mais les personnes malentendantes, elles, ont toujours besoin de se « concentrer plus intensément sur les conversations afin d’absorber les informations ». Pour nous, c’est tout le temps comme ça. Pour nous, les conversations en face à face sont épuisantes. Et c’est sans doute pour cette raison que beaucoup d’entre nous ne ressentent pas aujourd’hui un niveau de fatigue supérieur ou nouveau en utilisant les réunions en ligne. À bien des égards au contraire, ils nous ont facilité la vie.