J’ai passé 25 ans à divertir les gens sur scène. J’ai commencé comme guitariste principal dans un groupe dans les années 1980. Nous avons joué en tant que professionnels pendant six ans avant d’abandonner faute d’avoir réussi à percer.
De là, je suis passé à la comédie et j’ai fait du stand-up en duo à travers le pays. Après ça, j’ai pris des cours de théâtre. Je suis surtout monté sur les planches en tant qu’acteur, mais j’ai aussi produit et mis en scène de temps à autre, avant de finir magicien. C’est dans ce rôle que je me suis vraiment trouvé.
Un jour, je me suis penché sur toutes ces années de spectacle et j’ai ressenti une envie pressante de donner en retour. Plus jeune, j’avais travaillé comme infirmier et j’avais adoré ce travail, mais détesté le stress qui l’accompagne. Après y avoir mûrement réfléchi, j’ai donc décidé de quitter la scène et de me consacrer aux autres.
J’ai refait une formation et je suis devenu thérapeute et coach de vie. Pendant 10 ans, j’ai adoré mon nouveau travail et ses défis quotidiens. Pendant tout ce temps, j’ai continué à créer, à écrire et autopublier trois livres, ainsi qu’à jouer de la musique pour mon propre plaisir.
Et puis, récemment, j’ai commencé à ressentir cette envie irrépressible de retourner sur scène. Ce n’est pas que je souhaite quitter mon travail de thérapeute, car cela n’arrivera jamais, je l’aime trop.
C’est plutôt un besoin de pouvoir s’exprimer à travers le spectacle. Se produire en public, ça a quelque chose d’addictif. Le sentiment est difficile à exprimer avec des mots. Cela va au-delà du simple fait de se mettre en scène, c’est plus subtil. C’est une expérience à double sens. Un artiste projette une certaine énergie vers ceux qui le regardent et le public le nourrit en retour. Cette dynamique ne cesse d’aller et venir, comme un couple qui danse et travaille de concert pour produire une action commune.
C’est ce sentiment, cet échange difficile à expliquer, qui me manque et que j’aimerais tellement retrouver, pour tout dire. Je ne recherche pas les applaudissements, ce qui est totalement vain à moins bien sûr de l’avoir vraiment mérité au travers de l’expérience.
Le seul problème, c’est que la dernière fois que je me suis produit sur scène, je n’avais pas de perte auditive.
À l’heure actuelle, je porte deux aides auditives et je m’en sors très bien, mais comme la plupart des porteurs d’aides auditives, tout n’est pas si simple. Je me demande comment je vais m’en sortir en tant que magicien malentendant et si cela peut fonctionner auprès du public et sur scène.
Cela m’a donné beaucoup à réfléchir ces derniers temps pour essayer de trouver une solution à cet épineux problème. Il serait tellement plus simple de considérer que cette partie de ma vie est terminée, de tourner la tête et de passer à autre chose.
Mais est-ce que ce ne serait pas avouer qu’à cause de ma surdité, je vaux désormais moins que ce que j’étais ? Ai-je vraiment le sentiment d’avoir perdu quelque chose, en dehors de mon audition je veux dire ? Bien entendu, il n’y a que moi pour en décider.
Depuis que j’ai appris à réentendre grâce à mes aides auditives Phonak, plein de choses m’ont surpris en réalité. La musique a été un choc incroyablement merveilleux : l’écouter certes, mais en jouer également. Après avoir perdu une part importante de mon audition au fil des années, mes aides auditives m’ont permis de retrouver tellement de choses.
Il est facile de dire que ce que vous ne connaissez pas ne vous manque pas. Mais redécouvrir le son grâce à mes appareils auditifs a tout simplement été stupéfiant. J’ai découvert que la collection d’albums que j’écoutais depuis des années avait un son complètement différent, et tellement meilleur !
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J’entendais les sons bas et graves, mais je passais à côté des notes chaudes du milieu de gamme. Et j’étais devenu complètement étranger aux notes les plus aigües. C’était assez étrange de penser à l’importance qu’avait autrefois eue le son dans ma vie. En tant qu’acteur, les paroles, le volume et le ton avaient été des outils pour jouer et faire rire. En tant que musicien, sans une bonne maîtrise du son, je me serais senti pour le moins confus et perdu.
Me voilà maintenant en pleine possession des différentes gammes de son. Je suis capable d’entendre la musique et de comprendre les paroles, et pourtant… Demandez à n’importe quel porteur d’aides auditives si son audition est bonne en permanence et vous recevrez toutes sortes de réponses. C’est parce que nous n’entendons pas avec nos oreilles, mais avec notre cerveau. La nature du son qui nous est transmis peut varier.
C’est mon dilemme, du moins ça l’était. J’ai réfléchi aux sons et à toutes leurs variations ainsi qu’aux bons et aux mauvais jours, puis je me suis demandé comment j’allais bien pouvoir m’en sortir si je retournais sur scène. Le public ne ferait-il pas qu’une seule bouchée de moi ? Ne me tomberait-il pas dessus à la moindre erreur ? Que se passerait-il si jamais je n’entendais pas correctement quelqu’un ? Et si j’avais besoin de le faire répéter ? De quoi aurais-je l’air ? Finalement, les réponses à ces questions ne sont pas si compliquées qu’il y paraît.
Que fait un entendant lorsqu’il ne saisit pas bien quelque chose qu’on lui dit ? Est-ce qu’il essaie simplement de noyer le poisson et d’ignorer ce qu’il a manqué comme si ça n’avait aucune importance ? Est-ce qu’un entendant dans le doute éviterait de demander à l’autre personne de répéter ce qu’elle a dit ?
Les réponses sont évidentes. Parfois, ce sont simplement les éléments extérieurs qui empêchent une personne de bien entendre, et ce, quelles que soient ses capacités auditives. En repensant à mes anciennes performances en public et à la manière de gérer mes interactions avec les spectateurs, les moments où je m’adressais à eux, parlais et écoutais, je me suis rendu compte qu’il m’était déjà arrivé de ne pas avoir entendu correctement, voire pas du tout.
Est-ce que je m’étais alors mis à paniquer ? Est-ce que cela m’avait donné envie de tout arrêter ? Absolument pas. Dans ces cas-là, je m’interrompais et me retournais pour demander ce qui venait d’être dit et inviter la personne à se répéter. Personne ne trouvait cela étrange. Il n’y avait pas de silences gênés ni de moments embarrassants.
Cela fait simplement partie de la vie et, en tant qu’artiste, vous avez besoin que les gens vous apprécient et aient confiance en vous pour entrer dans votre jeu. Plus vous semblez normal et amical, plus le public réussit à se poser pour s’ouvrir à ce que vous lui proposez. Une fois parvenu à ces conclusions, j’ai senti comme un immense poids en moins.
Bien sûr que je pouvais retourner sur scène. Est-ce que tout se passerait sans accroc ? Non, ce serait comme avant. Il y aurait toujours des moments imprévus et des situations délicates. Exactement comme dans la vie.
Maintenant que j’ai mes aides auditives, il va me falloir réfléchir à la meilleure manière de travailler avec les gens du point de vue de la distance. Une préparation en amont sera bien sûr à l’ordre du jour : il faudra s’approprier les lieux de la représentation, mais ce ne sera pas si différent d’avant, au fond.
Tant que je n’oublie pas d’emporter des piles de rechange. Et que je garde à l’esprit qu’une perte auditive n’est pas une histoire de souffrance ou de handicap. Il s’agit de communiquer d’une manière différente alors que rien d’autre n’a changé. Comme toute personne désavantagée sur le plan auditif, je suis capable de faire tout ce que j’entreprends. C’est juste une question de détails.