Selon l’abstract d’une étude, le risque de dépression plus sévère est associé à la double perte sensorielle. Plusieurs articles indiquent cependant que cela arrive dans plusieurs cas. Soit en cas de perte auditive, soit en cas de déficience visuelle, mais n’évoquent pas la double déficience.
Quand des récits, dans le domaine de la santé circulent dans les médias, c’est qu’un communiqué de presse d’une institution académique ou un abstract publié sur un site à orientation scientifique fait parler de lui. Et, comme nous le savons tous, les gros titres accrocheurs fonctionnent toujours. Mais ils ont aussi la faculté de causer du tort ou de l’inquiétude. C’est souvent ce qui se passe lorsque les gens ne lisent pas au-delà du titre ou de la version abrégée.
Pourtant, quel principe ne faut-il jamais oublier quand on recoupe des données ? Corrélation ne veut pas dire causalité. Considérons les deux affirmations suivantes : « Jeanne a les cheveux bruns » ; « Jeanne est malentendante ». Ces deux affirmations sont vraies, pourtant aucune d’elles n’est à l’origine de l’autre. Et pourtant ici, deux jeux de données ont été présentés. Ils donnent l’impression que les femmes atteintes de perte sensorielle ont deux fois plus de risques (que les hommes) de souffrir de dépression (du fait de leur perte sensorielle). Mais si on lit attentivement ces affirmations, on s’aperçoit qu’en réalité ce qu’elles disent est différent. Les femmes ont juste tendance à faire davantage état de leur dépression que les hommes.
À lire également : Étude : l’impact de la perte auditive sur la santé mentale
Menée à l’université Anglia Ruskin en Angleterre, l’étude a été publiée dans l’International Journal of Geriatric Psychiatry en 2021. Les chercheurs se sont appuyés sur des données secondaires portant sur 23 089 adultes. Ages 15 à 103 ans ; 45,9 % d’hommes. Ces derniers avaient répondu à une enquête nationale de santé espagnole réalisée en 2017. L’utilisation de données secondaires constitue en soi un premier signal d’alerte.
La méthode de collecte d’informations utilisée dans le cadre de cette enquête nationale incluait des entretiens individuels assistés par ordinateur. Ceux-ci furent parfois remplacés par des entretiens téléphoniques. Les données recueillies concernaient deux niveaux. L’aptitude visuelle : capacité à voir même en utilisant des lunettes ou des lentilles. Et auditive : capacité à entendre, dans un endroit calme ou bruyant, y compris avec une aide auditive.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs de l’ARU ont recoupé deux jeux de données. L’auto-déclaration « de l’expérience d’une déficience visuelle, d’une déficience auditive ou d’une double déficience sensorielle ». Et l’auto-déclaration « de l’expérience de dépression et d’anxiété ». Les questions de l’enquête étaient indépendantes les unes des autres.
L’auteure principale de l’abstract, le Pr Shahina Pardhan, déclare : « La double déficience sensorielle (auditive et visuelle) est corrélée à une dépression et une anxiété accrues. Les corrélations chez les femmes souffrant d’une double déficience sensorielle sont plus importantes que chez les hommes au sein de la population adulte espagnole. »
L’étude a conclu qu’il existait des « corrélations » entre déficiences sensorielles et dépression et anxiété. Une autre conclusion disait : « Des interventions sont nécessaires pour remédier à la déficience visuelle et/ou auditive afin de réduire l’anxiété et la dépression, notamment chez les femmes ». Cela laisserait entendre qu’ils impliquent un lien de causalité entre déficience sensorielle et dépression et anxiété. L’étude n’effectuait malheureusement aucune distinction entre personnes déficientes appareillées et personnes déficientes non appareillées.
À lire également : Comment la dépression et la perte auditive sont intimement liées
Le compte-rendu sur la méthodologie de l’enquête nationale de santé de 2017 donne des précisions sur les données sensorielles.
« Tentative est faite d’évaluer les limitations fonctionnelles qui affectent l’état de santé de la population du point de vue de la capacité à fonctionner, indépendamment du motif de ces limitations ».
De ce fait, dans la mesure où l’enquête nationale de santé espagnole ne faisait pas référence aux causes de la perte auditive endurée ni aux types de déficiences visuelles, ces éléments ne pouvaient être pris en compte dans l’étude de l’ARU. Les causes et types de déficiences auraient pourtant de réels effets sur la possibilité que l’anxiété et la dépression soient corrélées à la déficience sensorielle. Un individu qui pense que sa perte auditive ou sa vue risquent de se détériorer, se sentira plus anxieux qu’un autre qui sait que sa déficience ne va pas bouger.
Il est facile de présumer que des personnes qui ne voient pas ou n’entendent pas peuvent être anxieuses ou déprimées. Cela pourrait être lié à plusieurs facteurs. Leur perte sensorielle, à la possibilité qu’elle s’aggrave, à une question de sécurité personnelle ou à quelque chose de totalement différent. Mais il faudrait pour cela disposer de données primaires sur la manière dont les répondants perçoivent les causes de leur anxiété ou dépression afin de chercher un lien de causalité.
L’enquête espagnole s’est aussi appuyée sur une auto-déclaration de dépression et d’anxiété plutôt que sur le diagnostic réel de ces affections par un professionnel de santé.
Morale de l’histoire : ne vous affolez pas à la lecture de gros titres alarmistes. Lorsqu’un sujet vous intéresse, lisez l’article, puis remontez à la source de l’information.
À lire également : Gérer sa perte auditive et sa santé mentale