monde
Vivre entre le monde des sourds et celui des entendants
16 juillet 2021
allergies
Allergies et entretien de vos aides auditives
17 août 2021

Les langues des signes à travers le monde

langues des signes
Les gens sont souvent surpris d’apprendre qu’il y a plusieurs langues des signes. Il en existe en effet plus de 300, sans compter les dialectes. Faisons un petit tour d’horizon des langues des signes à travers le monde.

Qu’est-ce qu’une langue des signes ?

Il s’agit d’un système de communication utilisant les gestes, les expressions faciales et le langage corporel pour transmettre un message. Chaque langue des signes possède un lexique, une grammaire et une syntaxe qui lui sont propres. Chacune est aussi riche et variée que les langues parlées.

La langue des signes américaine (ASL) est la langue des signes la plus répandue dans le monde. On l’utilise aux États-Unis et au Canada ainsi que dans certaines parties du Mexique, d’Afrique et d’Asie. Elle s’est développée après que la langue des signes française (LSF) fut importée aux États-Unis en 1817 par Thomas Gallaudet et Laurent Clerc. Elle s’y est alors mélangée aux langues indigènes locales pour créer ce qu’on appelle aujourd’hui l’ASL.

À lire également : Comment apprendre la langue des signes ?

Imaginez des langues connectées à la manière d’un arbre généalogique. L’ASL est un descendant de la LSF. Elle n’est pas du tout liée à l’anglais. D’autres pays anglophones utilisent des langues des signes issues d’un arbre linguistique différent.

En Grande-Bretagne, on signe généralement en langue des signes britannique (BSL). Cette langue fait partie de l’arbre BANZSL, qui rassemble également les langues des signes australienne (AUSLAN) et néo-zélandaise (NZSL). Toutes ces langues partagent les mêmes racines et certains signes similaires. Les signeurs qui utilisent des langues différentes ne peuvent pas se comprendre entre eux. Car ces systèmes ne sont pas mutuellement intelligibles.

À lire également : J’ai appris à combiner la langue des signes et la parole pour communiquer

Développer les langues des signes

Il est impossible de dire avec précision combien de langues des signes existent à travers le monde. Selon les estimations, ce nombre se situe généralement entre 150 et 300. Les langues des signes se forment souvent au sein de petites communautés isolées, il est donc difficile de les étudier. Des communautés qui sont pourtant très proches géographiquement peuvent utiliser des langues des signes totalement distinctes. Il est même courant pour les langues des signes de varier d’une école pour sourds à l’autre au sein d’un même pays.

À l’heure où nous parlons, de nouvelles langues sont en plein développement. Elles peuvent émerger très vite grâce au processus de créolisation (un mélange de langues existantes) ou bien se créer en partant de rien. Malgré leur prévalence, les langues des signes sont considérées comme des langues minoritaires. De ce fait, il existe moins de recherche et de documentation à leur sujet.

Avant que l’ASL ne se développe, une personne sourde qui voyageait entre les différents états américains ou même simplement entre villages croisait différentes langues des signes et pouvait donc avoir du mal à se faire comprendre. Martin Heavy Head Jr. expliquait à la chaîne CBC que la langue des signes des Indiens des Plaines (LSIP), qu’il a apprise en grandissant, servait couramment pour conclure des traités entre les différentes nations des Plaines comme les Cris, les Crows, les Sioux et les Gros Ventres (une lingua franca, à l’instar de l’anglais utilisé aujourd’hui pour les conférences internationales). Ce principe leur permettait ainsi d’éviter tout malentendu lié aux différences entre langues parlées. Les membres de sa tribu sont en réalité habitués à signer, qu’ils soient *sourds ou entendants.

Les langues des signes de village

L’Organisation mondiale de la santé estime qu’environ 5 % de la population mondiale est atteinte de surdité. Dans certaines régions du monde, ce taux est même bien supérieur. Dans les endroits où l’on rencontre un taux de surdité élevé, les locaux créent rapidement et naturellement des langues des signes. Elles sont souvent utilisées indifféremment par les citoyens sourds et entendants. Ces langues des signes sont appelées langues indigènes locales ou langues des signes de village. Elles n’ont en général aucun lien avec les langues parlées dans la région ni avec aucune autre langue signée. Elles émergent simplement là où le besoin de communiquer se fait ressentir.

La langue des signes de Martha’s Vineyard (MVSL) s’est développée lorsque des colons sourds ont débarqué sur cette île du Massachusetts au 17e siècle. Environ une personne sur 25 y était sourde en raison d’un gène héréditaire. La communauté tout entière utilisait donc la langue des signes pour communiquer. La surdité n’y était pas considérée comme un obstacle ni même une caractéristique distinctive d’un individu. Pour tout dire, les citoyens sourds étaient généralement plus instruits que leurs homologues entendants, car on les envoyait au Hartford Asylum, où ils bénéficiaient d’un enseignement. Ils étaient (et sont encore) des membres hautement respectés de leur communauté.

De la même façon, les communautés Maijuna au cœur de l’Amazonie péruvienne ne qualifient pas les individus de sourds. La surdité n’est pas considérée comme une déficience ou un handicap. Les personnes qui n’ont pas appris à parler peuvent tout simplement signer à la place. Elles utilisent une forme de communication différente, loin de tout phénomène de médicalisation.

Kata Kolok, Indonésie

Dans le village de Bengkala en Indonésie, il existe une langue des signes du nom de « Kata Kolok » (« le parler des sourds » en indonésien). La moitié des membres entendants (« enget ») de la communauté ont décidé d’apprendre cette langue pour communiquer avec les sourds (« kolok »), ce qui favorise la mixité sociale. C’est une langue drôle et animée. Des comédiens enjoués du village prennent un malin plaisir à lui ajouter sans cesse de nouveaux signes.

« Si votre destin est de naître sourd, alors c’est sans nul doute le meilleur endroit pour grandir ! », a déclaré I Ketut Kanta, le porte-parole de l’Alliance des Sourds de Bengkala, à la BBC.

Membres hautement respectés de la société, les « Kolok » sont perçus comme des individus forts et intrépides. Au travail, les sourds gagnent autant que leurs pairs entendants et occupent des fonctions importantes au sein de la société. Autrefois, on attribuait la surdité à une malédiction. On a toutefois découvert récemment un gène récessif, baptisé DFNB3, comme étant à l’origine de cette anomalie.

La langue des signes d’Adamrobe au Ghana

Adamrobe est une petite communauté nichée dans une vallée en cuvette au pied des collines d’Akuapem au Ghana. Elle abrite le plus grand nombre de personnes sourdes du pays. Selon un rapport, cela concernerait en effet 50 de ses 1 800 habitants, soit le double de la moyenne mondiale. Dans cette communauté, entendants et sourds parlent avec leurs mains. La communauté encourage les enfants entendants autant que les enfants sourds à apprendre cette langue dès le plus jeune âge.

On ignore la cause exacte de ces taux élevés de surdité. Les mariages intrafamiliaux et le manque d’accès aux soins en sont des raisons possibles. Cependant, les villages voisins vivant dans des conditions similaires n’enregistrent pas les mêmes taux de surdité. Les villageois trouvent des explications intéressantes à ce phénomène singulier qui touche leur communauté. Certains pensent qu’un dieu sourd règne sur le village et maudit les familles qui l’offensent en leur donnant un enfant sourd. Un autre mythe affirme que la rivière voisine est sacrée et que toute personne qui utilise son eau pour un usage domestique sera punie. On raconte encore que la graine de la surdité aurait été semée il y a de nombreuses années par un bel homme viril que les femmes trouvaient irrésistible.

Alipur en Inde

À Alipur, un village situé dans l’état de Delhi en Inde, les 20 000 résidents utilisent la langue des signes d’Alipur (APSL). Les citoyens sourds s’épanouissent socialement, car ils peuvent se mêler librement aux entendants à l’inverse de ce qui se fait dans de nombreuses sociétés, où ils se seraient socialement isolés. Le développement du langage des enfants sourds est ici entièrement adapté à leur âge. Ce qui est une formidable réussite.

Mais avec la multiplication des déplacements pour aller travailler à l’extérieur du village et l’explosion des réseaux sociaux, de plus en plus de jeunes mélangent l’APSL avec la langue des signes indienne et une version de l’ASL utilisée à Bangalore. Certains linguistes en viennent donc à souligner la nécessité de préserver les langues des signes de village. Notamment par le biais de programmes destinés à sensibiliser la communauté.

La préservation de la langue des signes 

Le risque, lorsqu’on importe une langue des signes dans une région, est de causer du tort aux langues locales. Plusieurs langues indigènes, parlées ou signées, sont ainsi en voie de disparition. La langue est inextricablement liée à la culture. De nombreuses personnes cherchent à protéger les langues indigènes. Mais les langues des signes ont aussi la particularité que les enfants sourds naissent généralement de parents entendants. Il incombe donc aux membres de leur communauté de prendre l’initiative de leur apprendre la langue des signes. Documenter les langues locales leur permet d’accéder plus facilement à la langue de leurs ancêtres et de leur communauté.

En Tanzanie, il était interdit d’utiliser la langue des signes jusqu’à ce qu’elle soit décrétée langue d’instruction officielle pour les élèves sourds en 2014. Grâce au travail acharné de groupes de défense ainsi que de l’association Chavita (Kiswahili pour « Tanzania Association of the Deaf » ou TAD), le premier dictionnaire numérique consacré à la langue des signes a été publié en 2020. Cet ouvrage en anglais et en kiswahili permettra à plus de monde d’apprendre la langue des signes et de mieux intégrer les étudiants sourds dans la société. Dans le même temps, un guide de mise en œuvre des programmes dans le secondaire a été publié pour favoriser une éducation plus inclusive pour les élèves sourds.

Une nouvelle langue des signes

La langue des signes bédouine d’Al-Sayyid dans le désert de Néguev est une langue relativement nouvelle, âgée de tout juste 80 ans. Pour les linguistes, c’est l’occasion d’observer se développer la complexité langagière en temps réel. Les villageois utilisent un ensemble commun de signes variant légèrement d’une famille à l’autre. C’est un phénomène typique pour une langue qui n’en est qu’à ses débuts. Les linguistes scrutent les créations et modifications de signes apportées par les familles pour voir quels changements perdureront.

Le signe pour dire œuf, par exemple, se compose de deux gestes. Pendant qu’on courbe l’index d’une main près de sa bouche comme un bec, trois doigts de l’autre main retournée tiennent un objet invisible. Une famille a toutefois choisi de modifier le premier geste en utilisant trois doigts pour que le signe ressemble moins à un bec. De façon générale, le signe est plus efficace et plus fluide. Le reste du village a peu à peu adopté ce changement.

En documentant des situations comme celles-ci, les linguistes espèrent pouvoir répondre aux questions qu’ils se posent sur le développement langagier. Après tout, étudier les langues nous apporte des connaissances sur le fonctionnement de l’esprit humain : la manière dont nous élaborons des idées, tissons des relations et communiquons. Certains enseignants venant d’ailleurs ont commencé à introduire la langue des signes internationale (LSI) dans les écoles. Les hommes qui quittent le village pour aller travailler rapportent des signes d’autres régions. Ces interactions rendent l’avenir de la langue des signes bédouine d’Al-Sayyid incertain.

*Dans cet article, le mot « Sourd » n’a pas de majuscule, car la distinction sourd/Sourd n’existe pas dans les cultures où la surdité n’est pas considérée comme une caractéristique distinctive.

L’équipe HearingLikeMe
L’équipe HearingLikeMe
Les auteurs de l’équipe HearingLikeMe rédigent sur le blog des articles autour de la perte auditive. Ensemble, nous pouvons apprendre à mieux vivre avec et en défendre la cause plus activement