La perte auditive/surdité diagnostiquée d’un individu peut « sembler » en décalage avec son identité assumée. Mais l’identité sourde n’est pas une simple affaire de diagnostic ou de degré de perte auditive.
De façon générale, l’identité sourde fait référence à la manière dont un individu se rattache ou s’identifie à la communauté sourde. Certains choisiront de s’identifier en tant que Sourd avec un grand « S » (totalement immergé dans la culture Sourde) et d’autres en tant que sourd avec un petit « s ». Les personnes qui font ce deuxième choix ont tendance à considérer leur surdité comme l’un des aspects de leur identité et non comme sa part essentielle. Plutôt que de se sentir en phase avec la culture Sourde, ils se perçoivent souvent comme les membres d’une communauté sourde parlante.
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Atteinte de perte auditive depuis ma plus tendre enfance, je m’appuie essentiellement sur mes aides auditives et parle en anglais pour communiquer. Pendant longtemps et jusqu’à plus de 20 ans, je me suis identifiée en tant que malentendante, car je souffrais de perte auditive modérée à sévère (aujourd’hui presque totalement sévère). J’ai par ailleurs grandi dans un monde d’entendants, cette identité me semblait donc adaptée. J’ai cependant toujours ressenti comme un manque. Je me sentais coincée quelque part au milieu entre pas complètement entendante, mais pas tout à fait profondément sourde. J’avais l’impression de ne pas être suffisamment Sourde. Les gens remarquaient mes aides auditives et se disaient que j’étais capable de parler. Tout s’est toujours passé comme si j’étais entendante, alors que je ne le suis pas.
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Quand j’ai débuté mes études en psychologie dans l’intention de travailler avec des personnes sourdes et malentendantes, je me suis inscrite à des cours sur la culture Sourde et la langue des signes américaine. Cela m’a ouvert les yeux de manière complètement inattendue. Je suis instantanément tombée amoureuse de la culture et de la langue. J’ai soudain réalisé que je n’avais pas besoin qu’on me diagnostique une surdité profonde pour m’identifier en tant que sourde avec un petit « s » et faire partie de cette culture et de cette communauté absolument uniques. Quand j’utilise la langue des signes et communique avec d’autres personnes sourdes ou malentendantes, je me sens vivante : c’est une expérience que je n’ai commencé à vivre pleinement que depuis quelques années.
J’ai ouvert encore plus grand les yeux à mesure que ma perte auditive s’est aggravée. Je me suis mise à explorer différents environnements pour lesquels il m’a fallu trouver des aménagements différents. Ce qui avait fonctionné toute ma vie durant n’était tout simplement plus adapté. L’autre événement particulièrement décisif pour moi dans la mise au jour de mon identité a été de découvrir toute la beauté d’une vie sans aides auditives et de pouvoir jouir pleinement du silence sans surcharge sensorielle ni fatigue auditive. Je me suis rendu compte à quel point il pouvait être merveilleux, voire pratique d’être sourde. Il n’était finalement pas nécessaire de dépenser tous ces trésors d’énergie pour entendre à tout prix. Il me suffisait de suivre mon sous-titreur, libérée de toutes les distractions sonores et autres perturbations. J’ai alors pu commencer à apprécier le silence profond de moult manières.
Certains ajustements ont certes été (et sont encore) frustrants et éprouvants. C’est un processus progressif qui m’a toutefois permis de réaliser à quel point nous sommes adaptables et comme il est valorisant de puiser dans ses ressources pour imaginer sans cesse de nouveaux moyens de faire les choses, alors même qu’on pensait avoir déjà fait le tour de la question. Ces expériences ont été pour moi la révélation de ma vie : elles m’ont confirmé que, oui, je suis suffisamment sourde.
Aujourd’hui, je m’identifie à la communauté sourde en apprenant et en utilisant la langue des signes régulièrement, en établissant des relations avec d’autres personnes sourdes et malentendantes, en recourant à des méthodes de communication alternatives comme la transcription ou le contenu signé, en délaissant momentanément mes aides/technologies d’assistance auditive et en défendant mes intérêts ainsi que ceux des membres de notre communauté.
Si vous lisez cet article en tant que personne en quête de sa propre identité sourde, voici quelques-unes des choses que mon parcours m’a apprises :
Si vous lisez cet article en tant que personne entendante, voici quelques-unes des choses que nous aimerions que vous sachiez :
Chacun de nous a une identité qui lui est propre et la manière dont nous nous identifions est spécifique à notre personnalité, à nos expériences, nos perspectives, nos préférences, etc. Chaque personne que vous rencontrez a une histoire très différente de celle des autres. Deux personnes peuvent avoir reçu le même diagnostic de perte auditive ou sembler aussi impliquées l’une que l’autre dans la communauté, et pourtant choisir de s’identifier de façon très différente, car leur manière de vivre leur perte auditive ne se ressemble pas. C’est comme ça. Nous sommes nés pour être différents les uns des autres, pour être nous-mêmes et surtout pour être celui ou celle que nous choisissons d’être.