Je me suis alors remémorée mes peurs d’enfant atteinte de perte auditive. J’en ai depuis parlé avec d’autres malentendants et nous avons bien ri en découvrant combien nos peurs étaient similaires. Nombre d’entendants connaissent ces mêmes peurs, mais pour des raisons différentes.
Ce qui a vraiment mis le feu aux poudres de ce tourbillon de pensées, c’est ma peur présumée des feux d’artifice. Mes parents sont revenus sur la première fois où j’ai entendu un feu d’artifice après avoir été appareillée. Ce n’était pas le feu d’artifice en lui-même qui me posait problème : non, lui je l’ai trouvé très beau ! Le « BOUM », en revanche, m’a tout simplement terrifiée. Je n’avais jamais entendu ni vécu quelque chose de semblable auparavant. Mes parents m’ont dit qu’il m’avait fallu un certain temps avant de m’habituer au bruit des feux d’artifice.
La première vraie peur d’enfant dont je me souvienne, qui soit liée à quelque chose de très innocent en apparence, est le jeu du téléphone arabe qu’apprécient particulièrement les enfants. L’idée même de chuchoter m’était déjà insupportable. Cette sensation de son étouffé et inconfortable dans mes aides auditives quand une personne parle dans mon dos. Cela dit, je me crispais aussi chaque fois que quelqu’un s’approchait pour me prendre dans ses bras, priant pour que mes aides auditives ne se mettent pas à siffler. Rien de tel pour faire s’emballer votre cœur ! Ajoutez à cela l’esprit compétitif du jeu du téléphone arabe et mon corps n’était plus qu’une feuille tremblante.
Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec les règles de ce jeu, le but consiste à chuchoter un message dans l’oreille d’une personne qui le répète à son voisin et ainsi de suite. L’objectif étant que la phrase finale obtenue soit aussi proche que possible de l’originale. C’est un jeu plutôt amusant à vrai dire, car la phrase finit quasiment toujours à côté de la plaque. En tant que personne malentendante en revanche, c’est nettement moins amusant, car je ne comprenais bien souvent pas un traître mot de ce que mon voisin me disait. Je me sentais comme la coupable idéale qui ferait dérailler le jeu. On aurait dit que je démarrais une toute nouvelle phrase au beau milieu de la partie.
Et en parlant de téléphone, du vrai cette fois-ci, autant dire que c’était également quelque chose d’incroyablement intimidant pour moi. Une de mes vraies peurs d’enfant. J’avais tellement l’habitude de compter sur la lecture labiale que cela a été un vrai défi que d’apprendre à bien écouter au téléphone et à placer le combiné au bon endroit par rapport à mon aide auditive pour obtenir un maximum de clarté et de volume. Et pendant tout ce temps-là, mon interlocuteur s’impatientait se demandant ce qui se passait et répétant « Allô ?! » à plusieurs reprises. Je me souviens que la plupart de mes amis, ma sœur notamment, adoraient répondre au téléphone. Ils avaient le sentiment d’être adultes pendant un instant, mais pas moi. Je restais assise là à écouter le téléphone sonner, croisant les doigts en espérant qu’un autre viendrait le décrocher !
J’étais une petite fille plutôt sociable, c’était donc un moment assez frustrant pour moi. En matière de socialisation, on peut dire que les soirées pyjama et les activités aquatiques n’étaient pas non plus les situations les plus confortables. Lors des soirées pyjama, les enfants restaient toujours longtemps éveillés à bavarder et à chuchoter dans le noir. Mais comme je ne pouvais pas voir, je ne pouvais pas entendre, alors pourquoi s’embêter ? La plupart du temps, je me tournais et m’endormais. Je me sentais un peu exclue. J’avais toujours peur que les autres filles ne préparent une farce pour se moquer de la première à s’être endormie. Je n’aurais pas pu les entendre si elles étaient venues pour me mettre le pouce dans l’eau chaude ou dessiner quelque chose de ridicule sur mon visage. Heureusement, elles n’ont jamais rien fait de tel.
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Comme la plupart des enfants, je passais mes étés à la piscine du quartier. Mon plus grand plaisir était de plonger et de faire l’équilibre dans l’eau. Comme je ne pouvais pas entendre, certains jeux aquatiques me demandaient vraiment beaucoup d’efforts. Si quelqu’un arrivait par derrière ou criait pendant une partie d’épervier, je ne l’entendais pas.
Pousser les gens tout habillés dans l’eau ou au moment où ils s’y attendent le moins était aussi une blague courante. Étant enfant, j’avais envie d’en rire, car c’était amusant, mais je ne le faisais pas par peur de devenir la prochaine cible. Il ne fallait absolument pas qu’on me pousse dans l’eau avec mes aides auditives, sinon adieu mes appareils ! Mes parents auraient été furieux d’avoir à dépenser une fortune pour les remplacer. Pas d’inquiétude toutefois, j’ai fini par devenir très douée pour sécher mes aides auditives humides dans les situations critiques !
En dehors de la piscine, j’ai aussi passé beaucoup d’étés à fréquenter les parcs d’attractions. C’est sur les montagnes russes que j’ai ressenti le plus de sensations fortes (aujourd’hui encore d’ailleurs !). Je me souviens de mon premier tour la tête à l’envers, je plaquais mes mains sur mes oreilles de peur que mes aides auditives ne tombent. Que valait-il mieux : avoir l’air ridicule sur les photos prises à la volée ou protéger mes aides auditives ? J’ai dû apprendre à accepter de retirer mes aides auditives pour les mettre en lieu sûr, quitte à ne pas entendre les autres crier autour de moi pendant le tour.
Les enfants ne sont toutefois pas toujours des plus responsables. Je m’inquiétais d’avoir à retirer mes aides auditives et de les oublier quelque part, ou pire, de carrément les perdre. Quand je les mettais dans ma poche, je passais mon temps à vérifier qu’elles n’en avaient pas bougé. Quand je les rangeais dans mon sac de piscine, je m’assurais avant et après la course de ne pas les avoir égarées.
J’ai eu pas mal de problèmes d’insomnie après un exercice incendie où nous nous sommes entraînés à évacuer une salle de classe en feu. Le simple fait d’être seule dans ma chambre la nuit sans mes aides auditives me tenait éveillée, car cela signifiait risquer de ne pas entendre l’alarme se déclencher… Et par conséquent, risquer d’être asphyxiée par la fumée ! À cause de cela, pendant toute une période, j’ai dormi sur un lit de fortune par terre à côté de mes parents.
À l’école, j’avais peur de ne pas être au premier rang et de ne pas pouvoir voir l’enseignant. Tant pis si je passais pour une intello, il fallait absolument que je réussisse à voir le professeur pour pouvoir suivre. Lire sur les lèvres était mon salut. C’est ce qui me permettait de rester à niveau avec les autres élèves. Je me souviens du premier jour de classe, je suis allée trouver mes professeurs et j’ai demandé à pouvoir m’asseoir juste devant. J’aurais fait n’importe quoi pour éviter d’avoir à perdre du temps chez moi à réapprendre tout ce qui avait été évoqué en cours.
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Si beaucoup de ces moments effrayants le sont encore dans une certaine mesure aujourd’hui, je m’aperçois avec le recul qu’en grandissant, nous changeons et que nos peurs évoluent elles aussi. Toutes ces choses peuvent être extrêmement impressionnantes pour un enfant atteint de perte auditive. À terme, réussir à dépasser ces peurs d’enfant nous rend plus forts à mesure que nous évoluons dans un monde fait avant tout pour les entendants.
Quelles étaient vos peurs d’enfant atteint de perte auditive ?